La loi de
transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 relative aux
lanceurs d’alerte vient d’être votée au Sénat. Bien que l’objectif de
lisibilité du droit pour les lanceurs d’alerte ne soit pas tout à fait au
rendez-vous, le texte apporte un certain nombre d’améliorations à la loi Sapin
II, qui avait inspiré la directive, et demeure la pierre angulaire de la
protection des lanceurs d’alerte.
La procédure
de signalement interne, qui se révélait un frein aux alertes, n’est plus un
passage obligé et les organisations syndicales pourront davantage jouer leur
rôle, grâce à la protection des « facilitateurs ».
Tout en
rappelant les grandes lignes de la protection prévue par la loi Sapin II, nous
soulignerons les évolutions qui viennent d'être adoptées.
La loi Sapin
II du 9 décembre 2016 (1) a posé les règles générales de protection des
lanceurs d’alerte. Ces règles sont rassemblées dans son chapitre II intitulé
« De la protection des lanceurs d’alerte ».
Pour
bénéficier de la protection prévue par cette loi (2), il faut d’abord entrer
dans la définition du lanceur d’alerte qui y est donnée.
Définition
qui repose sur deux axes :
- les faits
pouvant être signalés ;
- les
caractéristiques de l’auteur du signalement.
De plus, même
si le canal interne n’est plus un passage obligatoire, il faut respecter
une démarche graduée allant du signalement (interne ou externe) à
la divulgation (publique).
L'auteur du signalement ou de la divulgation
Le
signalement doit provenir d’une « personne physique ». L’auteur du signalement peut donc
être : un (ancien) salarié, un stagiaire, un candidat à l’emploi, un
collaborateur extérieur ou occasionnel, un actionnaire ou un associé, un membre
de l’organe d’administration ou de surveillance, un co-contractant ou un
sous-traitant ou un membre de l’organe d’administration ou de surveillance de
ces sous-traitants ou co-contractants (article 8 de la loi Sapin modifié).
En revanche,
n’entrent pas dans la définition des lanceurs d’alerte les signalements ou les
divulgations effectués par des personnes morales.
Hormis ces
ajouts à la liste des personnes physiques pouvant émettre une alerte, parmi les
nouveautés introduites par la nouvelle loi quant à l’auteur du signalement ou
de la divulgation, quelques avancées méritent d’être relevées (article 6-I de
la loi Sapin modifié).
Désormais, ce
n’est plus que lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre
des activités professionnelles, que le lanceur d’alerte doit en avoir eu « personnellement
connaissance » ! Lorsque l’information est obtenue dans le
cadre des activités professionnelles, cette exigence n’a plus lieu d’être.
Les représentants des salariés pourraient ainsi lancer une alerte sur des faits
qui leur auraient été rapportés par un collègue, ce qu’ils ne pouvaient faire
auparavant (sauf en usant des droits d’alerte spécifiques aux IRP).
Par
ailleurs, l’exigence de désintéressement du lanceur d’alerte, qui était prévue
par la loi Sapin II pour éviter la chasse aux primes à l’américaine, mais dont
la formulation conduisait à priver de protection les lanceurs d’alerte tirant
un profit indirect de celle-ci (par exemple ceux qui, sans tirer de profit
financier, bénéficiaient de l’alerte sur un harcèlement ou des discriminations
dont ils étaient victimes). Il n’est donc plus exigé que le lanceur d’alerte
agisse « de manière désintéressée et de bonne foi », mais
simplement « sans contrepartie financière directe et de bonne foi » -
ce qui est plus cohérent avec l’objectif poursuivi…
Les faits pouvant faire l'objet d'un signalement
Les faits,
informations ou documents, quel qu’en soit le support, pouvant faire l’objet
d’une alerte sont les suivants (article 6-I modifié) :
- un crime ou un délit ;
- la violation ou tentative de
dissimulation de la violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou
approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation
internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du
règlement ;
- une menace ou un préjudice pour
l’intérêt général.
Le champ des
signalements possibles est vaste... Sont ainsi protégés des lanceurs d’alerte
aussi divers que les auteurs de signalement en matière de santé publique ou
d’environnement, ceux dénonçant des délits ou des crimes, en passant par ceux
signalant la violation d’un engagement international...
De simples
risques peuvent faire l’objet d’une alerte, à condition de menacer l’intérêt général, peu
importe dans ce cas que les risques constituent, ou non, des actes illégaux.
En pratique
toutefois, l’exigence d’un caractère « grave » et « manifeste »
des violations, menaces ou dangers, posée par la loi dans sa version de 2016,
pouvait freiner les ardeurs de potentiels lanceurs d’alerte.
Les
changements introduits par la loi de transposition de la directive à ce sujet
sont de deux ordres.
-D’une part
la disparition de l’exigence de gravité de la menace ou de la violation,
du crime ou délit… ainsi que la suppression de l’exigence de caractère
« manifeste », exigences qui conduisaient à rendre
extrêmement périlleux le signalement…
-D’autre
part, l’ajout de la possibilité de signaler ou de divulguer la tentative de
dissimulation d’une violation.
Les
principales exceptions sont les cas couverts par le secret : secret de la Défense nationale,
secret des avocats, secret médical, secret des délibérations judiciaires, de
l’enquête ou de l’instruction judiciaire, ainsi que certains cas spécifiquement
visés par la Directive en son annexe II (services financiers, prévention du
blanchiment, financement du terrorisme…).
Dans ces
cas, le cadre de la loi ne s’applique pas.
La mise en oeuvre des signalements
C’est le
point qui a fait l’objet des évolutions les plus notables. La loi Sapin II prévoyait une
obligation de passer par le canal interne, puis externe (en cas de défaillance
du premier) pour bénéficier de la protection. Cette procédure en trois paliers
avait tendance à rebuter. D’autant que la procédure interne peut prévoir que le
supérieur hiérarchique soit le référent !
Désormais, le
canal interne n’est plus un passage obligé. Il reste néanmoins possible et
sa mise en place reste obligatoire dans les entreprises, administrations et
établissements publics visés par la loi. Toutefois, les personnes qui sont
lanceurs d’alertes peuvent décider d’y recourir, ou non, selon « qu’elles
estiment qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par
cette voie » et « qu’elles ne s’exposent pas à un risque
de représailles » (article 3 de la loi, modifiant l’article 8 de la loi
Sapin).
Reste que le
lanceur d’alerte doit - avant
toute divulgation publique et sauf cas exceptionnels -, en passer par le
canal externe, c’est-à-dire s’adresser à l’autorité compétente (dont la
liste sera fixée par décret).
Aux fins de
traitement des signalements, des procédures internes doivent toujours
être mises en place dans toutes les entreprises de droit privé employant au moins
50 personnes.
Les
personnes morales de droit public et les établissements publics (y compris les
autorités publiques indépendantes) sont également concernés dès lors qu’ils
atteignent le seuil de 50 salariés ou de 50 agents.
Sont
concernés à ce titre :
- les
administrations de l’Etat ;
- les
communes de plus de 10 000 habitants et les établissements publics de
coopération intercommunale dont elles sont membres, regroupant au moins une
commune de plus de 10 000 habitants ;
- les
régions et départements.
La mise en
place de la procédure interne de signalement n’est pas obligatoirement
négociée, elle peut se faire de manière unilatérale. Sauf bien sûr, si la procédure vaut
également mécanisme d’alerte prévu au plan de vigilance, en application de la
loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 (v. sur ce point: Devoir de vigilance).
Toutefois, la
loi prévoit désormais que la mise en place de la procédure interne de recueil
et de traitement des signalements se fasse « après consultation des
instances de dialogue social et dans les conditions fixées par décret en
Conseil d’Etat » (article 8, I, B de la loi Sapin modifié). La
procédure de signalement peut être commune à plusieurs sociétés d’un groupe
(article 8, I, C).
La CFDT, qui
a œuvré pour cette avancée, ne peut que s’en réjouir !
Au-delà, l’employeur
doit désigner un référent auprès de qui porter le signalement. Il peut
s’agir du supérieur hiérarchique (direct ou indirect), de lui-même, ou bien de
toute autre personne.
Ce référent
doit disposer de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à
l’exercice de ses missions. Le référent peut être une personne physique, mais
aussi une personne morale, voire « toute entité de droit public ou de
droit privé, dotée ou non de la personnalité morale » (3).
Ainsi, rien
n’empêche en théorie l’employeur de désigner un syndicat ou une institution
représentative du personnel (le CSE par exemple) comme référent.
Dans tous
les cas, la procédure doit garantir la confidentialité du lanceur d’alerte et
des personnes visées. Enfin, si
le traitement des signalements est automatisé, une autorisation de la
Commission informatique et libertés est nécessaire.
Si le
lanceur d’alerte estime que le canal interne n’est pas approprié pour remédier
à la violation ou s’il pense s’exposer à des représailles (article 8-I-A de la
loi Sapin modifié), il peut adresser directement son signalement à l’un des
canaux externes suivants :
- l’autorité compétente (dont la
liste sera fixée par décret) ;
- le Défenseur des droits (qui
l’orientera) ;
- l’autorité judiciaire ;
- une institution ou un organisme
de l’Union européenne compétent.
Ce n’est
qu’une fois cette obligation de signaler, en interne ou par l’un des canaux
externes prévus par la loi, « sans qu’aucune mesure appropriée ait été
prise en réponse à ce signalement » (article 8, III, 1° de la loi
Sapin modifié), que le lanceur d’alerte pourra divulguer publiquement les
informations.
Des
exceptions sont néanmoins prévues (article 8, III, 2° et 3° de la loi Sapin modifié).
Sauf en cas d’atteinte à la sécurité nationale ou aux intérêts de la
défense nationale, le lanceur d’alerte peut s’exonérer du canal interne et
du canal externe pour passer directement à la divulgation publique en cas
de :
- « danger grave et
imminent» ;
- lorsque la saisine d’un des
canaux externes lui ferait encourir « un risque de représailles ou
qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la
divulgation» ;
- « en cas de danger grave
et imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il
existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice
irréversible ».
=> Pour
aller plus loin sur la
protection des lanceurs d’alerte dans les TPE, voir le Guide publié par le
Défenseur des droits : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/guides/guide-orientation-et-protection-des-lanceurs-dalerte
La protection des lanceurs d'alerte
La
protection prévue par la loi n’est accordée qu’aux lanceurs d’alerte respectant
l’obligation d’adresser leur signalement soit par le biais du canal interne,
soit par le biais du canal externe (signalement auprès de l’autorité compétente) avant
de procéder à toute divulgation publique (exceptions mentionnées
ci-dessus).
- Au plan civil, la protection
des lanceurs d’alerte repose sur un régime spécifique calqué sur celui de
la non-discrimination. L’article L.1132-3-3 du Code du travail modifié
par la loi interdit toute mesure discriminatoire (du recrutement au licenciement,
en passant par l’accès à un stage ou une formation), directe ou indirecte,
à l’encontre d’une personne ayant « témoigné, de bonne foi, de
faits constitutifs d’un délit ou d’un crime ». Un article
L.1121-2 est inséré dans le Code du travail. Il prohibe toute mesure
discriminatoire, ainsi que certaines mesures de représailles qu’il
mentionne (sanctions, licenciement…) à l’encontre d’une personne « pour
avoir signalé ou divulgué des informations » dans les conditions
de la loi.
Les mesures
prises en violation de cette interdiction, y compris le licenciement, encourent
par conséquent la nullité (art L.1232-4 du Code du travail). En cas de
licenciement, la réintégration peut donc être demandée et le conseil de
prud’hommes peut obliger l’employeur à abonder le compter personnel de
formation.
De surcroît,
l’article 12 de la loi Sapin dispose qu’ « en cas de rupture du contrat
de travail consécutive au signalement d’une alerte », les salariés
licenciés peuvent saisir la juridiction prud’homale en la forme des référés. En
cas de litige, la charge de la preuve est aménagée.
La juridiction
administrative a, elle aussi, le pouvoir de réintégrer « toute
personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-renouvellement de son
contrat ou d’une révocation » (article 11 de la loi).
De manière
générale, le Code de la fonction publique, ainsi que le Code de la défense sont
modifiés pour prévoir une protection similaire des lanceurs d’alerte.
- Au plan pénal, la loi a pris la mesure des
risques encourus par les lanceurs d’alerte, qui peuvent également être
entravés dans leur action par les poursuites engagées contre eux, en
particulier lorsqu’ils violent un secret protégé par la loi (ex. secret de
fabrication dont la révélation est nécessaire pour comprendre les risques
pour la santé ou l’environnement).
C’est
pourquoi, l’article 122-9 du Code pénal a instauré une irresponsabilité
pénale de la « personne qui porte atteinte à un secret protégé
par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la
sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des
procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux
critères de la définition du lanceur d’alerte ».
La nouvelle
loi exonère également le lanceur d’alerte lorsqu’il « soustrait, détourné ou recèle les
documents ou tout autre support dont il a eu connaissance de manière licite »
pour signaler ou divulguer (article L.122-9 du Code pénal modifié par la
présente loi).
Cette
irresponsabilité (comme la protection) a comme limites la violation de l'un des
secrets protégés par la loi (v. ci-dessus).
Par ailleurs,
les entraves à l’exercice du droit d’alerte sont mieux réprimées. Ainsi, l’article 13 de la loi
Sapin réprime-t-il toute forme d’entrave au signalement d’une alerte par 1 an
d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
De plus, en
cas de procédure en diffamation ayant un caractère abusif ou dilatoire (dites
« procédures baillons »), le juge pourra désormais prononcer une
amende civile allant jusqu’à 60 000 euros.
L’extension de la protection au-delà des lanceurs
d'alerte
L’article
2 du texte transposant la directive ajoute un article 6-1 à la loi Sapin II et
prévoit d’accorder une protection contre les discriminations et aux personnes
suivantes.
- Les « facilitateurs ». Ce terme recouvre selon les
termes de la loi « toute personne physique ou toute personne
morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte
à effectuer un signalement ou une divulgation» dans le cadre de la
loi Sapin II.
La CFDT a
œuvré pour l’introduction dans ce texte de la protection des personnes morales,
qui vise en particulier les organisations syndicales lorsque celles-ci aident
les lanceurs d’alerte. Nous ne pouvons donc que saluer cet ajout !
- Les personnes physiques « en
lien avec un lanceur d’alerte».
- Les entités juridiques
contrôlées par un lanceur d’alerte.
Ces personnes
ne sont pas responsables civilement ni pénalement des dommages causés du fait
du signalement. De plus,
elles sont protégées contre un vaste arsenal de mesures discriminatoires, de
représailles et d’intimidation possibles, au même titre que les lanceurs
d’alerte.
Ces mesures
encourent la nullité, et les personnes qui en sont les victimes bénéficient
d’un aménagement de la charge de la preuve sur le modèle de celui existant en
matière de discrimination.
La CFDT
demandait également de prévoir une protection du référent (en cas de mise en
place d’un canal interne) contre les mesures de rétorsion discriminatoires.
Elle n’a malheureusement pas été entendue.
Toutefois, de
manière plus générale, le CFDT se félicite des avancées obtenues dans cette
loi, en particulier de la suppression du passage obligé par le canal interne,
ainsi que de la mise en place de celui-ci après consultation des instances de
dialogue social.
(1) Loi
n°2016-1699 du 09.12.16 relative à la transparence, à la lutte contre la
corruption et à la modernisation de la vie économique.
(2) La
protection d’un lanceur d’alerte sur le fondement de la liberté d’expression,
qui est reconnue par la jurisprudence tant de la Cour de cassation, que de la
CEDH, ne sera pas traitée ici.
(3) Décret
n°2017-564 du 19.04.17.
Source : CFDT